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L’arrêt fondateur Derguini du 9 mai 1984

Le 9 mai 1984, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu un arrêt majeur dans le domaine du droit de la responsabilité civile : l’arrêt Derguini. Cette décision est aujourd’hui considérée comme un arrêt fondateur du droit français. Voyons pourquoi.

Un accident tragique à l’origine de l’affaire Derguini

Tout commence par un terrible drame. Le 10 avril 1976, Fatiha, une fillette de 5 ans, s’engage brusquement sur un passage piéton et se fait renverser par la voiture de M. Z. Malgré les secours, Fatiha décède des suites de ses blessures. Les parents de la petite, effondrés, décident alors d’engager la responsabilité du conducteur pour obtenir réparation.

Le 21 janvier 1977, le Tribunal correctionnel de Thionville rend son jugement. Il retient la responsabilité du conducteur, mais également celle de Fatiha, estimant qu’elle n’aurait pas dû traverser alors qu’une voiture arrivait. En clair, les juges estiment que la faute de la fillette a contribué à la réalisation du dommage. Ils décident donc d’un partage de responsabilité à 50/50 entre le conducteur et Fatiha.

La question du discernement de l’enfant posée à la Cour de cassation

Les parents, ne pouvant accepter que leur fille de 5 ans soit considérée comme responsable, font appel de cette décision. L’affaire remonte jusqu’à la Cour de cassation, devant laquelle les parents soulèvent l’argument suivant : leur fille était trop jeune pour mesurer les conséquences de ses actes. Elle ne pouvait donc pas commettre de faute, faute de discernement. Seule la responsabilité du conducteur doit être retenue selon eux.

Une question de principe est alors posée à la Cour de cassation : un enfant dépourvu de discernement peut-il commettre une faute engageant sa responsabilité ? Jusqu’à présent, la jurisprudence estimait que le discernement était nécessaire pour caractériser la faute. L’arrêt Derguini va bousculer cette conception.

Bon à savoir : le discernement désigne la capacité de comprendre et de mesurer la portée de ses actes. Traditionnellement, on estime qu’un enfant acquiert cette capacité vers 7 ans.

L’Assemblée plénière consacre la faute objective

Le 9 mai 1984, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation rend son arrêt. Elle confirme le partage de responsabilité entre Fatiha et le conducteur. Pour la Haute Cour, le manque de discernement de l’enfant est indifférent. En s’engageant sur la route, Fatiha a commis une faute qui a contribué à la réalisation du dommage.

Ainsi, l’Assemblée plénière consacre une conception objective de la faute. Désormais, un simple fait illicite suffit à caractériser la faute civile. La conscience ou l’intention de l’auteur importent peu. L’arrêt Derguini marque donc une rupture, et fait encore aujourd’hui jurisprudence.

Témoignage fictif : « Quand j’ai appris la décision de la Cour de cassation, j’étais très surpris, se souvient Me Dupont, avocat. Jusque-là, on pensait que seul un adulte conscient pouvait commettre une faute. L’arrêt Derguini a montré que la responsabilité pouvait désormais être étendue bien au-delà. »

Une responsabilité civile désormais étendue

La portée de la décision Derguini est considérable. En permettant d’engager la responsabilité d’individus même dénués de discernement, comme les enfants, elle a considérablement élargi le champ de la responsabilité civile.

Prenons un exemple : si un enfant de 6 ans casse un objet dans un magasin, le commerçant pourra engager la responsabilité de ses parents. Même si l’enfant ne réalisait pas la portée de son geste, le fait dommageable suffit. Les parents devront indemniser le préjudice.

Certains ont pu critiquer cet élargissement, notamment du point de vue de l’équité entre les parties. Mais l’arrêt Derguini se justifie par la volonté d’indemniser les victimes, fût-ce au détriment de la responsabilité morale des auteurs. Près de 40 ans après sa décision, la Cour de cassation continue de se fonder sur les principes posés par cet arrêt fondateur du droit de la responsabilité.