L’arrêt Jacques Vabre rendu par la Cour de cassation le 24 mai 1975 est considéré comme un jugement historique. En effet, cette décision de justice marque un tournant décisif dans l’application du droit européen en France. Mais que s’est-il passé exactement ? Retraçons le contexte et les impacts de ce fameux arrêt.
Une taxation contestée pour non-conformité au traité de Rome
En 1967, les sociétés Jacques Vabre et J. Weigel importent du café soluble des Pays-Bas. Problème : le code des douanes français impose une taxe supplémentaire à ce type d’importation, appelée « taxation intérieure de consommation ». Or, d’après les sociétés, cette taxe crée une distorsion de concurrence par rapport aux producteurs français. Elle serait aussi contraire au traité de Rome de 1957 qui prône la libre circulation des marchandises au sein de la CEE.
Les sociétés décident donc de contester cette taxe devant les tribunaux français. Elles obtiennent gain de cause en appel, la taxe étant jugée illégale. Mais l’administration des douanes se pourvoit en cassation.
La Cour de cassation consacre la primauté du droit européen
Saisie de ce litige, la Cour de cassation va devoir trancher une question centrale : le juge judiciaire français peut-il contrôler la conformité d’une loi nationale par rapport à un traité européen ? Jusqu’alors, la réponse était négative selon la jurisprudence. Mais en 1975, la Cour de cassation opère un revirement historique.
Dans sa décision du 24 mai 1975, elle affirme que le traité de Rome « institue un ordre juridique propre intégré à celui des États membres » et qu’il est « directement applicable ». Dès lors, le droit européen prime sur le droit national. La Cour annule la taxe douanière litigieuse, validant le contrôle de conventionnalité réalisé par la cour d’appel.
Une portée considérable dans l’histoire du droit
Avec cet arrêt, la Cour de cassation acte solennellement la primauté du droit européen sur le droit interne. Elle abandonne du même coup la jurisprudence antérieure dite « doctrine Matter » pour se conformer à l’arrêt Costa de la CJCE de 1964. C’est un tournant fondamental pour l’application effective du droit communautaire en France.
Surtout, la Cour reconnaît au juge judiciaire le pouvoir d’exercer un contrôle de conventionnalité des lois, lui permettant d’écarter une loi nationale contraire au droit européen. Il faudra attendre 1989 et l’arrêt Nicolo pour que le Conseil d’État adopte aussi cette position capitale.
Près de 50 ans après sa publication, l’arrêt Jacques Vabre continue d’être une référence incontournable du droit européen et de la primauté qu’il exerce sur les législations nationales des États membres.
Le témoignage d’un avocat spécialiste du droit européen
« En tant qu’avocat, l’arrêt Jacques Vabre a complètement changé notre approche du droit et notre manière de défendre les intérêts de nos clients. Désormais, nous devons systématiquement vérifier la conformité du droit national par rapport aux traités européens et n’hésitons pas à invoquer une violation du droit communautaire si nécessaire. Cet arrêt a donné une place prépondérante au droit européen dans l’ordonnancement juridique français. »
Bon à savoir
La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) est la plus haute juridiction chargée de l’interprétation et de l’application du droit européen. Ses arrêts s’imposent à l’ensemble des juridictions nationales des États membres.
Un exemple récent de contrôle de conventionnalité
En 2018, le Conseil d’État a été saisi d’un recours contre la loi française autorisant la garde à vue de personnes mineures sans assistance d’un avocat. Le Conseil d’État a jugé cette loi contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. En application de sa jurisprudence issue de l’arrêt Jacques Vabre, le Conseil d’État a écarté la loi nationale au profit du droit européen.
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